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L'Homme à la fesse cassée

Accident de fesse sur les pistes de ski des Bauges.

Le Club alpin français, longtemps connu pour faire pousser des refuges là-haut sur la montagne, ne cesse de diversifier ses activités. Faut-il rappeler que le CAF inventa dès 1926 la marche sur plan incliné à plus de 10 % ? Ce fut un pas décisif pour l’humanité, une prouesse jusque-là réservée aux mammifères spécialisés tels que dahuts, chamois et tarentaises. Les autres devaient faire de longs détours par les routes forestières pour gravir les montagnes. Dans la foulée, le CAF inventa l’alpinisme et les GR, puis le ski et les raquettes. Les stations de ski, ce n’est pas lui, même si ce point est discuté.

Chaque génération de cafistes fait progresser l’acclimatation de l’homme à la montagne, et vice versa. Le XXIe siècle qui commence applaudit sans réserve les débuts du CAF dans son nouveau domaine de compétences, la médecine de montagne, ou médecine de terrain incliné. Il était temps. Il y a trop d’accidents, les hôpitaux sont débordés, la Sécu explose, il faut prendre des mesures. Le CAF se rue dans la brèche.

Appeler les secours, envoyer les gens à l’hôpital en hélicoptère, c’est désormais ringard. Les cafistes s’occupent de tout, même s’ils n’ont pas la qualité de médecin ou de vétérinaire alpin. Ils prennent en charge les malades, blessés et autres déséquilibrés, notamment au ski, sans trop se préoccuper de résultats, ni de guérison, qui est une notion superficielle et relative.

Venons-en à l’aventure médicale peu banale qui m’est arrivée le week-end dernier dans le massif des Bauges (note 1). Il est délicat d’en parler ici vu l’organe concerné, à savoir ma fesse. Les hommes, ainsi que d’autres mammifères, ont en général deux fesses, qui servent à divers usages. L’un d’eux consiste à amortir les chocs et la dureté des chaises, travail ingrat et exposé. Puisqu’il est question de ma fesse, certains croiront que je n’en ai qu’une. C’est faux. Fausse aussi la rumeur que je laisse la deuxième à l’hôtel quand je fais du ski. Une fesse seule à l’hôtel court le risque d’être confondue avec un jambon. Et l’autre fesse, celle qui est au ski, s’expose à des dangers bien pires.

Or donc me voilà au ski à La Féclaz avec un groupe de cafistes dans le brouillard et les sapins givrés. Tout va bien, sauf que midi approche, que j’ai faim, et qu’un taux de sucre trop faible nuit gravement à ma lucidité. Le rêve d’une soupe fumante me fait accélérer. C’est alors qu’un traître virage à gauche se présente juste en bas d’un raidillon. Il est pavé de glace et d’intentions homicides. Je suis passé deux fois avec succès la veille. Jamais deux sans trois ? Ah mais non, mon ski droit se dérobe et flotte, mon gauche est trop raide, je fluctue, Jacques chancelle, titube et boum, crac, patatras, je chute lourdement sur la fesse gauche, alors que c’est au tour de la droite d’amortir. Aïe ! La glace est dure, la fesse très fragile, le résultat cata.

Je me relève et me plains en vain. Les cafistes, blasés de m’avoir vu tomber des centaines de fois par le passé, considèrent mon avenir avec confiance. C’est la première phase de la médecine de terrain incliné : minimiser les dégâts, parier sur la solidité du bonhomme. Il se plaint ? Tout va bien.

A table, après une deuxième chute causée par une envie naturelle qu’on ne mentionne pas d’ordinaire sur ce blog, rendue acrobatique par la neige croûteuse et casse-fesse hors de la piste, mais peut-on satisfaire la nature en pleine piste, bien sûr que non, d’où la deuxième chute. A table donc, la mine défaite et la fesse endolorie, à peine ma soupe engloutie, je tombe dans la deuxième étape de la médecine cafiste. En effet, l’eusses-tu cru, aucun médecin dans l’assistance ! Et parmi les non médecins, aucun cafiste n’est en possession d’arnica, ni sous forme de baume pour fesse ni de granules. Certains diront que moi non plus. Fi donc ! Craignant les froidures, mon tube est resté à l’hôtel, on peut le comprendre. Mais le fait est que cette deuxième phase médicale n’est d’aucun secours pour ma fesse. Elle consiste à retarder les soins en pariant sur une autoguérison inspirée du bon docteur Coué. Pour adoucir ce traitement réservé d’habitude aux chevaux, on m’offre du chocolat ! Excellente diversion, mais inopérante sur le plan thérapeutique, les fesses étant insensibles au cacao.

Il me reste pour survivre le recours à la prière, que j’adresse à saint François. Par chance c’est à ce grand ami des oiseaux et des boiteux qu’est dédié l’estaminet suivant sur notre route. J’y fais une halte brève mais couronnée de succès. La servante de saint François est experte en café serré, lequel me requinque assez pour rentrer à l’hôtel avant le départ du car.

Le CAF médical est cruel avec les blessés rentrant des pistes, et ce dans le but de décourager quiconque de tomber, de se faire mal, toutes choses inutiles et néfastes. Le mot d’ordre cafiste à ce stade 3, c’est « Bon sang, tu pouvais pas faire un peu attention ? »

Arrivés à Chambéry, nous sommes dirigés vers un café cette fois d’apparence laïque, et là je crains qu’il soit inutile de prier les saints. Toutefois, un miracle se produit, et qui de mieux placé pour cela que sainte Bernadette ! Notre encadrante bien-aimée extrait en effet de son sac une compresse d’arnica ! Je suis sauvé. Hélas, croyez-vous que parmi toutes ces infirmières du CAF une bonne âme m’assisterait pour l’application de ladite compresse sur la fesse ? Que nenni ! Je dois me contorsionner tant et plus, au risque d’aggraver mon cas. Et c’est donc la phase 4 de la médecine des pentes inclinées : « Tu l’as voulue, tu l’as eue, mais débrouille-toi. »

Tout cela n’est rien. Le clou c’est la phase 5. Le raffinement médical suprême. J’ai nommé la fiole de brou de noix ! Me voilà donc dans le train, entouré de cafistes compatissantes au sourire un rien sardonique, qui semble dire : « Attends, tu vas voir comme on soigne les fesses, nous. » Toute évasion du TGV étant exclue, j’affronte le destin avec courage. Surgie du néant, une bouteille de vin de noix paraît sur la tablette. « Ouvre cette bouteille, ça ne peut pas te faire de mal. » Je m’exécute, une tournée générale est servie, nous trinquons, le parfum de brou de noix est excellent, et chacun y va de son témoignage sur les vertus du brou de noix. Bref, tout va bien. Sauf que, la bouteille risquant de choir, elle est rangée comme par hasard en appui debout contre ma fesse blessée sur le siège. Et que croyez-vous qu’il arriva ?

Eh bien, au bout d’un moment je me levai, la bouteille chut, et le bouchon inexplicablement s’envola du goulot, et le brou de noix se déversa sur ma fesse, et abondamment sur mon siège, de sorte que pour la grande joie des cafistes je terminai le voyage imbibé de vin de noix et nageant dans le parfum de brou de noix. « Si avec ça ta fesse ne guérit pas, c’est à désespérer de la médecine ! » Voilà quelle fut la sentence des médicastres du CAF.

La suite est un chapelet de communiqués médicaux. Dimanche soir : mal à la fesse, mais le brou de noix c’est génial, je n’ai pas d’hématome ! Lundi soir : ouahou, non, le brou de noix, laisse tomber, j’ai un cocard splendide de 25 cm barrant toute la fesse, couleur orange sanguine soulignée de violine. Mardi soir, après force teinture mère d’arnica : il a viré au violet foncé. Mercredi soir : tout noir ! Le désespoir fait des progrès : comment paraître aux yeux de ces dames dans un état pareil ? Et la faculté qui me prédit plusieurs semaines avant toute amélioration !

Mon avocat me pousse à me retourner contre le CAF. N’est-ce pas de sa faute, après tout ? Oui, mais un procès prendra des mois, et quand je devrai montrer le corps du délit, ne sera-t-il pas guéri ? Ma fesse paraîtra aux yeux des jurés non pas violette ni toute noire, mais rose au contraire, rétablie dans son aspect de pleine santé. Et alors adieu dommages, intérêts, montants compensatoires ! L’avocat, pourtant redoutable plaideur, ne le sent pas trop : « Cher client, le cas est perdu d’avance, ce sera la risée générale ! »

Il reste donc à mieux se prémunir à l’avenir contre de tels accidents. Demain soir je vais découper une tranche de matelas de 50 cm et l’enrouler autour de mon arrière-train et le ficeler sur l’avant. Avec ça la médecine des pentes peut dormir tranquille, je n’ai plus besoin d’elle.

Jean-Luc Casseur-de-Skis

PS : je renonce à joindre la photo du cocard, les webmasters ne voudront jamais la poster. Et pourtant quel témoignage médical !

 

Note 1

Un épisode précédent de mes aventures dans les Bauges doit être encore disponible sur ce blog. Cherchez bien, ça remonte à janvier ou février 2009… On y trouve de véritables leçons d’histoire des Bauges dispensées gracieusement par le CAF.

 

Commentaires

1. Le vendredi 28 janvier 2011, 22:56 par Béa

moi, je suis comme saint thomas ... je ne crois que ce que je vois. hihihi

2. Le samedi 29 janvier 2011, 12:55 par Sainte Bernadette

Enfin une histoire de fesse (croustillante) au CAF !
çà vaut largement fesse book.

Le plus remarquable est que, étant présente parmi les infirmières patentées et compatissantes, ayant suivi les mêmes fesses sur les même pistes, je peux certifier la parfaite authenticité de ce récit.

Une seule ombre subsiste : pourquoi la fesse de Jean-Luc rend-t-elle si souvent visite à la patronne de l'estaminet de Saint- François ? S'agit-il de Saint-François d'Assise ?

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