Ils ne s'arréterons jamais, les maudits

Les discussions sur l'alpinisme en général, les événements en région parisienne ou ailleurs.
JFM
Bivouac tous les week-ends
Messages : 285
Inscription : 15 novembre 2012, 15:13

Ils ne s'arréterons jamais, les maudits

Message par JFM »

La description d'une lignée d'incroyables et tenaces alpinistes: un article de Jean-François Fournel qui décrit "l’ascension de Marcel Remy, 94 ans" (publié dans Le Monde en date du 03/01/2018). Ses deux fils, "les fréres Remy" ont ouvert tant de voies: des Alpes Occidentales aux Dolomites, des Gorges du Verdon au massif du Wadi-Rum... Le dynamisme exemplaire des alpinistes suisses.

"Cet alpiniste amateur a convaincu ses deux fils, grimpeurs de très haut niveau, de l’emmener une dernière fois cet été sur le Miroir de l’Argentine, un des grands classiques de l’escalade suisse. Dans la famille fous de montagne, le père, Marcel, 94 ans, puis ses deux fils,<B><s></s> Claude et Yves Remy, 64 et 61 ans. Si ce nom n’est guère connu de ce côté des Alpes, il est célèbre dans le monde de la montagne suisse, où les deux fils ont ouvert des centaines de voies. Purs produits de la génération des grimpeurs à mains nues des années 1970, les fils Remy sont des stars de la grimpe.
Pourtant, en août dernier, c’est bien leur père Marcel, employé des chemins de fer helvètes jusqu’à sa retraite prise en… 1973 et alpiniste amateur, qui a fait les titres de la presse suisse. À 94 ans (et six mois, je tiens aux six mois, dit l’intéressé), Marcel Remy a grimpé le Miroir de l’Argentine, un grand classique des Alpes vaudoises, aussi fameux en suisse que les parois des gorges du Verdon en France 1.
Trois heures d’approche sur un sentier très dur, 450 mètres de calcaire usé et lisse, 14 longueurs de corde, une arête escarpée après le sommet, et un retour dans la vallée en parapente… La montée, je savais que je pouvais y arriver, mais la descente à pied, non ça, c’était vraiment trop dur pour mon âge, explique-t-il, installé devant une soupe maison dans la cuisine de la modeste maison de garde-barrière qu’il occupe non loin de Lausanne, face au Léman et aux Alpes.
La montagne et les trains, ces deux passions ont occupé une grande partie de la vie de ce fils d’une famille modeste, né en 1923 dans une vallée reculée du canton de Fribourg, où l’on interdisait aux gamins d’aller grimper comme les fous de touristes. En traînant à la gare, j’écoutais les étrangers et les riches parler de leurs exploits, j’en ai suivi quelques-uns, j’ai fini par faire comme eux, en cachette. À l’époque l’alpinisme n’existait pas pour nous, les ouvriers et les paysans. Mais j’ai appris à grimper sur les pentes en faisant des travaux d’alpage, raconte le vieil homme sous le regard attendri de Claude.
L’aîné de ses garçons était adolescent quand son père l’a emmené pour la première fois au Miroir, une face que Marcel a gravie autour de 200 fois. Des deux fils, Claude a été le moins difficile à convaincre. Mon frère, lui, n’y croyait pas du tout. Moi j’ai donné à mon père 10 % de chance de réussir, et encore j’ai forcé le chiffre pour lui faire plaisir, car je ne voulais pas lui faire de peine et on a posé de sacrées conditions avant de l’emmener.
Mais les heures d’entraînement dans la salle d’escalade que les fils gèrent près de la ville de Vevey, les soirées de palabres pour choisir les techniques les plus adaptées et les sorties en montagne de plus en plus difficiles n’ont pas réussi à dissuader le vieil homme. Bien sûr, je pouvais échouer, mais j’avais confiance, j’ai souvent eu confiance, c’est le secret, dit Marcel Rémy, qui a toujours cru en la bonne étoile qui l’a tenu loin de la maison familiale quand elle a été engloutie par une avalanche emportant sa mère, sa sœur et d’où il a extrait de justesse son frère Roland.
Même au pied de la falaise, avec ses deux fils et une bande de copains venus donner un coup de main, Marcel n’a pas vraiment douté. J’avais un très bon premier de cordée, et mes deux fils grimpaient à côté et en dessous de moi. Je leur avais demandé de ne pas trop parler, ou alors seulement pour me guider en cas d’hésitation, je voulais rester concentré et surtout goûter à fond ce moment, car je savais, cette fois, que je n’y retournerais pas.
Définitivement assagi Marcel Remy ? Ça, ce n’est pas possible, coupe son fils, lançant un regard protecteur et fier sur ce père étonnant. Il a la santé, c’est sûr, il conduit sans lunettes, il voit les chamois avant les autres, il a encore une sacrée technique, alors on ne sait jamais. Mais pour le Miroir, mon frère et moi, on dira non.
Ils ont eu plus peur que moi, sourit le papa, qui n’en dira pas plus sur le nouveau tour qu’il cache – peut-être – dans son sac de montagne. Pourquoi je m’arrêterais ? Je vais bien et si j’ai mal quelque part, je fais comme si la douleur n’était pas là. Je fais encore du ski de fond et de piste, je crois d’ailleurs que c’est en skiant l’année dernière que m’est venue l’idée du Miroir. Du ski de randonnée ?, suggère-t-on. Non ça, c’est fini répond l’aïeul. Vous voyez bien que je suis devenu raisonnable."
Répondre