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JFM
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Dans le quotidien "Le Monde" un article sur "La fonte accélérée du Groenland" confirmée par des glaciologues danois

L’altitude de la calotte de glace du Groenland, issue de 7 millions de points de mesure du satellite Cryosat en 2012
La glace de la calotte polaire du Groenland est-elle en train de fondre vraiment plus vite qu’auparavant ? Et le changement climatique provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre en est-il vraiment responsable ?
Ce sont les deux questions que les glaciologues se posent depuis le milieu des années 2000. Des questions à la racine d’une controverse scientifique, et de débats assez rudes au sein des laboratoires et du GIEC – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – sur les projections de l’élévation future du niveau marin mondial. Va-t-elle rester dans la fourchette actuelle du dernier rapport du GIEC – entre 20 et 80 cm – ou aller au-delà du mètre ? Et menacer ainsi des centaines de millions de personnes ? Or, un article 1 qui paraît dans la revue Science Advances apporte une réponse positive et plutôt convaincante à ces deux questions.
Une petite équipe de glaciologues danois signe cet article. Son atout majeur : il étend une observation certes locale, mais bien liée au changement régional, sur une période nettement plus longue que celle des observations satellitaires, en remontant à 1975. Soit plus de quarante années continues. Une durée dépassant les 30 années canoniques exigées par les climatologues lorsqu’ils veulent saisir des tendances qui s’affranchissent des oscillations naturelles majeures sur une, deux ou trois décennies. Alors que les mesures par satellites, qui ont lancé l’alerte mais aussi des interrogations, ne remontent pas avant le début des années 1990.
Newton en serait resté baba
Trois progrès scientifiques et techniques de la télédétection spatiale sont à l’origine de ces mesures satellitaires. Ils se sont mis en place progressivement au début des années 1990. Les deux premiers sont l’altimétrie par radar. Ils permettent de dresser des cartes de l’altitude des surfaces de la calotte polaire. Ce qui donne accès à son évolution dans le temps. En Europe, les satellites ERS-1 et 2 puis Envisat ont ouvert la voie. Tandis que la série des satellites d’altimétrie Franco-américain (CNES/NASA) Topex-Poséidon puis les Jason ont également réalisé de telles cartes. Aujourd’hui, c’est le satellite radar Cryosat de l’Agence spatiale européenne qui a pris le relais et montre la diminution du volume de la glace du Groenland :
La technique la plus fascinante demeure toutefois la gravimétrie spatiale, notamment avec la mission GRACE (Gravity recovery and climate experiment) Américano/allemande. Elle aurait laissé Newton baba puisqu’elle consiste à mesurer les variations locales du champ gravitationnel de la Terre, et ses variations au cours du temps. Elle est si précise qu’elle peut mesurer les variations de ce champ au fil des saisons lorsque la calotte polaire Groenlandaise se remplume à coups de chutes de neige l’hiver ou perd de la glace l’été par fonte et départs d’icebergs au bord de la mer. Elle peut d’ailleurs également mesurer la variation de poids d’un sol de vastes dimensions, comme le bassin de l’Amazonie, lorsqu’il s’assèche ou au contraire se gorge d’eau à la suite de pluies ou d’inondations saisonnières.
Ces mesures de gravimétrie ont en permis de peser le poids total de la glace des calottes et d’en mesurer les variations saisonnières et pluriannuelles de 2002 à 2016.
Mais demeurait une interrogation : l’accélération récente de la perte de glace ainsi mesurée, spectaculaire et allant contribuer de plus en plus à l’élévation du niveau des océans, était-elle due à un phénomène de courte durée, transitoire, peut-être sans lien direct avec la transformation climatique générale ?
Un recul historique remontant à 1975
Pour répondre à cette question, les glaciologues danois ont pu exploiter une des très rares séries d’informations de plus longue durée à leur disposition. Elle provient d’un captage d’eau à l’aval d’un lac du sud-ouest du Groenland, alimenté pour l’essentiel par la fonte de la calotte durant l’été. Or, les mesures de sa décharge remontent nettement plus loin, à 1975. Alors que la tendance au réchauffement des températures de la basse atmosphère ne montre pas encore de hausse significative.

Les analyses des glaciologues ont permis de reconstruire l’effet du réchauffement au fil des ans, en particulier en ôtant des mesures les années où le barrage naturel de glace du lac est submergé par une inondation. Ils ont également pu observer que lors des éruptions volcaniques stratosphériques (El Chichon en 1982 et le Pinatubo en 1991), les particules qui affaiblissent la lumière du Soleil se traduisent par une fonte beaucoup plus faible de la glace, confirmant sa sensibilité aux paramètres atmosphériques.
Au total, les glaciologues en arrivent à mesurer que la fonte de la glace augmente de 80% entre la période 1976/2003 et la période 2003/2014. Une augmentation (graphique ci-contre) liée notamment aux effets du changement climatique planétaire sur la circulation atmosphérique. La cause immédiate de la fonte plus forte des glaces l’été semble en effet due à l’augmentation de la persistance de conditions anticycloniques estivales. Un air également plus chaud car provenant de régions plus au sud. Or, ces caractéristiques de la circulation atmosphérique sont appelées à s’accentuer dans le futur, notent-ils, avec le changement climatique en cours.
Le niveau marin futur plus menaçant
Ce résultat conforte les glaciologues dans l’idée que les accélérations observées durant la période satellitaire proviennent bien du réchauffement de l’Arctique, la partie du globe qui s’est le plus réchauffée depuis 50 ans.

Cette nouvelle pièce du dossier calottes appuie les arguments des glaciologues qui n’ont pas été entendus dans le dernier rapport du GIEC. Et accentue l’alerte sur le niveau marin mondial dont le rythme de hausse (ci-contre vu par les satellites d’océanographie) a déjà triplé par rapport au 19ème siècle.
Le dernier rapport du GIEC, dont la partie scientifique a été publiée en 2013, ne pouvait prendre en compte que des articles parus avant 2011 au plus tard. Et donc des mesures encore antérieures. Déjà, les discussions ont été assez tendues. Quelques glaciologues, dont l’équipe d’Eric Rignot (un Français travaillant aux Etats-Unis depuis des années), estimaient que la fourchette retenue – entre 30 et 80 cm pour l’élévation du niveau marin mondial à la fin du siècle) – était bien trop optimiste. Et qu’il fallait plutôt placer la barre minimale vers un mètre en raison de l’accélération de la perte de glace du Groenland… mais aussi de l’Antarctique, alors que les simulations des années 1990 laissaient espérer que la calotte du pôle sud allait augmenter de volume, boostée par des chutes de neige plus abondantes.

La contribution des calottes polaires à l’élévation du niveau marin est de plus en plus nette et semble s’accélérer.
Sur le long terme, plusieurs siècles, la menace pourrait devenir majeure. En effet, les paléoclimatologues savent que lors de la dernière période chaude (l’Eémien), il y a environ 130 000 ans, la température de la planète avait atteint… 2°C de plus que le niveau pré-industriel, celui vers lequel nous nous dirigeons inexorablement. A l’époque, ces températures avaient été atteintes pour des raisons astronomiques – les variations de l’orbite terrestre autour du Soleil – et non liées à un effet de serre plus intense. Or, le simple maintien de cette température durant des siècles avait provoqué la fonte d’une grande part de la calotte du Groenland, provoquant une hausse de 6 à 9 mètres du niveau marin mondial. Avons-nous déclenché un processus similaire ? De quoi se faire traiter d’apprentis sorciers par nos lointains descendants…
Cette montée du niveau marin se fait déjà sentir sur les basses côtes et les deltas des grands fleuves (un phénomène qui sera accentué pour ces derniers avec la construction de barrages en amont). Dans le delta du Mekong, au Vietnam, des rizières sont massivement transformées en zones d’aquaculture de crevettes, en raison de l’invasion par des eaux chargées en sel. Ailleurs, ce sont les champs ou des aménagements industriels et des habitations qui seront submergés. Au total, un mètre en plus du niveau marin menace les territoires où vivent entre 200 et 400 millions de personnes, pour des submersions permanentes ou lors des marées et tempêtes. Le problème est donc bien plus important que sa perception par la disparition de quelques îles peu peuplées.
1 Abrupt shift in the observed runoff from the southwerstern Greenland ice sheet. Andreas, P. Ahlstrøm et al. Science Advances, 13 décembre 2017.
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