Ski de montagne dans le Caucase central
Par Jean Jacques Bianchi
Ce voyage « Caucase 2005 » s’est déroulé avec succès, dans une excellente ambiance, du vendredi 1er avril au jeudi 21 avril , et faisait suite à un premier séjour que j’y avais fait en avril/mai 2004.
Voyager en Russie est à la fois simple et compliqué
Organisation d’un séjour au Caucase
Ce
voyage « Caucase 2005 » s’est déroulé avec succès, dans une excellente
ambiance, du vendredi 1er avril au jeudi 21 avril , et faisait suite à
un premier séjour que j’y avais fait en avril/mai 2004.
Voyager en Russie est à la fois simple et compliqué
La chaîne du Caucase s’étend sur plus de 1000 km, du Nord de la mer
Noire jusqu’aux rives de la Caspienne. Entre le premier 4000 ( à
l’Ouest ) et le dernier 5000 (à l’Est ), le Caucase Central s’étend sur
270 km, soit la distance entre Chamonix et Nice. Sur cette distance, ce
ne sont que « Mont Blancs, Ecrins et Vanoise », une dizaine de sommets
de plus de 5000, aucune route ne traverse, aucune station de ski gâche
l’ambiance sauvage et solitaire…
Si la Kabardino-Balkarie est à l’abri des convulsions caucasiennes, il
est cependant pratiquement impossible – pour de multiples raisons
administratives, de logistique, de langue, de sécurité, absence de
carte autre que symbolique , de topo, etc - de se passer des services
d’une agence locale, et c’est beaucoup plus sympathique ainsi. Pour le
ski de rando, sport quasi confidentiel pour les russes, le choix de
l’Agence est vital, c’est le gage de la réussite du séjour.
Je n’ai eu à chaque fois qu’à me louer de la prestation de TST ( Top
Sport Travel ), de St Pétersbourg, d’Alexey ( Shustrov ), responsable
de l’Agence et guide émérite, francophone et francophile, et de Victor
( Komaritchev ), guide de ski, fanatique de la peau de phoque.
Le Caucase, c’est (un peu ) l’Elbrouz, point culminant de l’Europe,
mais son ascension requiert un concours de circonstances favorables (
enneigement, visibilité, peu de vent, etc ) qu’on ne trouve qu’avec de
la chance alliée à de la patience : c’est alors une expérience
inoubliable . A une relative foule de toute nationalité qui se presse
sur l’itinéraire classique versant Sud, je préfèrerai le sauvage
versant Nord, qui ne voit passer que de très rares caravanes chaque
année, fin mai à début juin : cela fait partie de mes futurs projets.
Le Caucase, c’est surtout la chaîne principale, fantastique barrière
rectiligne, où l’on trouve tout ce dont rêve le skieur de montagne :
grands sommets, glaciers encore très abondants, curieusement plus
importants versant sud que versant nord, à parcourir en avril / mai,
mais aussi des massifs moins élevés, prairies, forêts, lacs, etc à
fréquenter dès mars.
Pour tous ceux qu’une aventure caucasienne tenterait, je peux me
charger de l’organisation d’un séjour similaire à ceux que j’ai fait en
2004 et 2005.
Personnellement, pour changer d’ambiance, je prévois en mars 2006
d’aller « explorer » à skis les vallées à l’Ouest de l’Elbrouz, dans un
cadre encore plus rarement fréquenté en hiver !!
Pour ceux que ça intéresse, me contacter par l’intermédiaire du
secrétariat ( Mylène ou Migella )
Retrouvez les 150 photos de ce voyage dans l'album
Caucase 2005
CDG, jeudi 31 mars,18h30,
Philippe et moi, rejoints par Ladick, sommes arrivés très en avance
depuis l’aéroport de Nice.
20h15 : je passe quelques coups de téléphone aux parisiens, et découvre
que Nicolas est encore à son bureau ( Nicolas, patient négociateur avec
l’ambassade de Russie, est aussi détenteur de nos passeports, visas etc
), angoisse !!
22h30 : nous voici tous réunis, 10 skieurs devant l’aventure qui les
attend dans le Caucase, pays de hautes montagnes inconnues, et réputées
habitées de « barbus sauvages », 10 skieurs, ou bien 6 Parisiens: Jean
Pierre, Miriam, Gauzelin, Nicolas, Hugues, Christian, 1 Lyonnais:
Michel et les 3 Méridionaux, ou bien 9 «Cafistes» et 1 «FFMiste» au
demeurant tout à fait sympathique, ou bien 9 français et une Allemande
( très francophone ), ou bien 8 skieurs « normaux » et 2 télémarkeurs
fanatiques qui nous feront une belle démonstration de l’art primitif,
injustement méconnu - du ski en haute montagne…
Moscou Aéroport Sheremetiévo, 06h30
La nuit dans l’Airbus d’Aéroflot a été courte : décollage à 00h50 !!
La neige recouvre toute la campagne, il y a encore peu, les
températures oscillaient entre –10° et –20° !!
Changement d’aérogare, bagages, passeports, navettes, contrôles,
palabres, roubles, écriture cyrillique, nous arrivons in extremis à
l’enregistrement du vol intérieur pour Mineraldie Vody, qui part à
09h10. Nicolas qui a cherché à comprendre pourquoi maintenant Aeroflot
lui demande de payer au préalable un supplément de bagages, avec reçu
en bonne et due forme cette fois - auprès d’un guichet dépourvu de
guichetier, se trouve bientôt tout seul, de l’autre côté de la vitre de
la salle d’embarquement, l’ordinateur ayant logiquement cessé
d’accepter un passager à la seconde près de l’heure limite de
l’enregistrement: il agite ses skis, les bras en croix, de grosses
larmes coulent sur son visage. Trois de ses petits camarades, au pied
de la passerelle, refusent obstinément de monter dans l’avion sans lui.
Le temps presse …
Les responsables d’Aeroflot se laissent enfin apitoyer, et le font
monter en urgence directement dans la cabine du Tupolev, avec skis,
sacs, piolet, crampons et chaussures ….
Mineraldie Vody, à peine 500 m d’altitude
Il neige à gros flocons, la piste d’atterrissage est le seul trait noir
dans le paysage.
Retrouvailles avec nos amis Russes, Victor, le gourou de la peau de
phoque, qui nous encadrera pour la première partie du séjour, Alexeï,
guide émérite, qui prendra le relais pour la suite.
Minibus dans la campagne
Nous entrons en Kabardino Balkarie, république autonome au sein de la
fédération de Russie
Nous remontons la vallée de Baksan où la neige tombe de plus belle. A
partir de Tyrnyauz, le chauffeur mobilise tous ses talents en conduite
hivernale sur une route de plus en plus tortueuse.
Adyrsu, vallée secrète
Transbordement général dans un camion 4x4 de l’armée russe, seul engin
capable de remonter les 12 km de piste encombrée de neige et coulées
d’avalanches, qui mènent au refuge d’Ullutau, en compagnie de quelques
militaires, la kalachnikov négligemment accrochée aux ridelles..
Défendue en bas par un verrou rocheux, franchi par un ascenseur à
camions, commandé par un détachement de l’armée ( encore ), en haut par
un formidable cirque de sommets, aux noms exotiques mais aux faces
rocheuses et glaciaires surchargées de neige, à des altitudes de 4000 à
4550. La vallée d’Adyrsu a la dimension de la Vallouise toute entière,
avec 500m d’altitude moyenne supplémentaire, une forte couverture
glaciaire, et une morphologie, une végétation, etc qui rappellent
l’Oisans
Refuge d’Ullutau,
Seul lieu de vie en hiver, niché à la lisière de la forêt, ( 2350 GPS )
où nous arrivons à la tombée de la nuit, accueillis par Nina qui fera
merveille pour les repas et l’intendance.
Site incomparable pour la peau de phoque, où chaque jour nous tracerons
dans la neige vierge, seuls, absolument seuls.
Yunom Glacier ( Kirchkidar vallée )
Traversée d’un sommet sans nom ( 3750 m GPS ), face au Jailick ( 4550
), descente par une vallée glaciaire cachée « spéciale Victor «, belle
neige finissant en agréable poudreuse forestière.
Tcho Chat, ( 3500 m GPS )
Chacun s’est relayé à la trace pour ouvrir une tranchée de zigs zags
dans de raides goulets, puis sur le glacier sommital, et a suivi Victor
à la recherche des meilleures pentes et de la meil-leure poudreuse à la
descente
Mestiatau ( 4060 GPS )
Ah ! Mestiatau, dont j’avais été privé, l’année dernière, par une colique non négociable. Le soir et la nuit ont été pleins d’étoiles – et pas seulement par «effet Vodka» - le froid vif, moins 12°, encore moins au petit matin où chacun se presse pour atteindre les premières moraines au soleil. Long cheminement sous les langues glaciaires des grandes faces Nord, halte sur l’éperon rocheux où est posé le petit bivouac de Mestia (3200 ), entouré par son glacier, que Victor remonte par sa rive gauche, ressauts et zones de crevasses, plateau de Mestia qui s’étend à 3750 m, en Géorgie. Soudain, des brouillards denses, la traversée du plateau devient problématique. Prudemment, nous revenons sur nos traces au bord de la rimaye, attendons un moment, certains commencent à enlever les peaux pour profiter de la visibilité encore bonne en dessous du plateau. Une légère brise de Nord nettoie lentement le brouillard : face à nous apparaît une longue paroi aux allures de Grandes Jorasses entièrement plâtrée, à nos pieds naît du chaos le grand fleuve du Glacier Leksir en forme de croix.
Au-delà, le Caucase Géorgien, sommets enneigés à perte de vue par dessus forêts et mer de nuages, jusqu’aux confins de la Turquie. Derrière nous, 1900 m au dessus de nos têtes, le cône bicéphale de l’Elbrouz (5640 m )
Instants magiques, silence, immobilité.
Nous repartons sur le plateau de Mestia, cette fois sans problème
d’orientation, et gravissons l’élégante pyramide du Mestiatau, à skis
jusqu’au sommet même, où le panorama s’étend encore vers l’Est et les
5000 de Bezinghi qui nous attendent.
La descente: neige poudreuse, profonde, homogène, légère, série de
virages sur la pyramide sommitale, long schuss sur le plateau, immense
godille, chacun sa trace derrière Victor qui nous conduit par la rive
gauche du glacier, un œil sur les crevasses voisines, un autre sur les
pentes chargées de neige, longs schuss entrecoupés de cassures, nous
arrivons skis aux pieds au refuge d’Ullutau, devant les bières, toasts
de poisson fumé et délicieux « shasliks » préparés par Nina
C’était le 40 ème anniversaire d’Hugues
Garvash ( 3720 m GPS )
Sa combe morainique et sa grande pente finale, 400 m à plus de 35°,
cascade de séracs d’un côté, de l’autre un mur de glace en forme de
faucille suspendue au dessus de nos têtes, montée un peu adrénaline,
que Jean Pierre trace avec maestria, col ouvert vers la Géorgie et le
massif de l’Usbah, sommet majeur pour l’alpiniste du Caucase ( 4710 ),
descente en plaisir total.
Exploration
Le fond de la vallée qui mène à Mestia est un «boulevard» d’aiguilles
rocheuses et de glaciers, une invitation. Victor avoue ne pas se
rappeler d’y avoir promené ses skis !! Un beau cheminement vers une
épaule glaciaire défend l’accès au col Granoskova ( 3750 GPS ). Nous
n’oserons pas plonger par le glacier encaissé directement sous le col,
faute à la montée, d’en avoir vérifié la sortie, ce qui n’empêche pas
Victor de descendre du sommet de l’épaule sur une coulée de neige
poudreuse
Gumatchi ( col 3580 GPS )
Le grand beau persistant, nous engageons la traversée du Gumatchi, vers
la vallée voisine d’Adylsu. J’aurais aimé prendre pied sur le glacier
par sa Rive Droite, itinéraire commun au départ avec le Garvash, qui
traverse ensuite une large vire glaciaire surplombée par un mur de
séracs suspendus dans la face du Chegettau ( 4102 ) que nous avions
parcourue à la descente l’année précédente, mais dans un certain
brouillard qui évitait de se poser des questions environnementales.
Nous remontons plutôt les raides pentes qui donnent accès à la moraine
Rive Gauche, puis au plateau intermédiaire du glacier. Victor trouve
ensuite un cheminement dans le long ressaut supérieur du glacier
Gumatchi, entre blocs de glace et crevasses, où nous avions renoncé en
2004 faute de visibilité et dans une épaisseur de près d’un mètre de
neige fraîche, puis traverse sous le sommet 3800. Le col se franchit
soit à skis ( départ env 40 m plus haut, chute peu conseillée, n’est ce
pas Christian !! ), soit du col même ( anneau de corde et main courante
sur 20 m ). La suite est une longue glissade printanière sur le large
glacier Jankouate, aux pieds de sommets nouveaux, Jantugan ( 4000 ),
muraille du Baskara et Ullukara ( 4300 ), Kashkatash , puis gardant son
secret, le « mur de Skhelda » et le sommet de l’Usbah ( 4710 ), jusque
vers 1900 au « camp Elbrous « où le minibus nous récupère pour nous
déposer à l’hôtel « Nakra » à Cheget
Elbrouz rebelle
L’année dernière, le 1er mai 2004, Victor m’avait conduit avec Philippe
(Descamps), 3 skieurs seuls au sommet de l’Elbrouz, à 5640 m dans des
conditions nivo météo propices, nous avions connu le plaisir d’une
descente dans 30 à 40 cm de poudreuse, jusqu’à Azau (alt 2200) !!
Cette année, la neige tombée abondamment en mars a été balayée par des
vents violents, dès 4250, il ne reste que la glace, une glace vitreuse
dans les pentes redressées entre 4700 et 5100, puis une neige gelée
dans la longue traversée ascendante vers la selle entre le double cône
sommital.
L’itinéraire est inskiable, ce n’est qu’une longue partie de
cramponnage, avec pose de cordes fixes pour la sécurité. Personne ne
dépassera les rochers Pastukov, malgré le renfort d’Oleg, dont
l’énergie serait même capable de renverser les montagnes.
Devant nous, la face du Dongorozum et son « glacier 7 « porte bonheur,
le triangle rocheux et neigeux du Kogutai qui nous nargue de ses
superbes itinéraires où l’on n’ aperçoit que quelques traces en neige
profonde, mais que nous ne pourrons pas gravir cette année.
Bezinghi, sanctuaire mystérieux
Après avoir récupéré au passage ( ou plutôt fait évader ) Hugues de
l’Hôpital de Tyrnyauz, où il a été opéré d’un abcès tenace, nous
échangeons à Naltchik notre minibus pour deux 4x4 qui remontent route
et piste jusqu’à Bezinghi village, et au delà une piste défoncée: 20 km
nous séparent encore du « camp Bezinghi »
Bezinghi, vieux rêve issu de la lecture d’un ancien exemplaire de « La
Montagne »
Les inévitables anglais ( Freshfield, Mummery ), puis allemands et
autrichiens ont exploré et défriché les grands sommets du massif dès la
fin du XIX ème siècle, les russes ont ensuite pratiquement fermé
l’accès à Bezinghi pour se «réserver» la priorité de l’ouverture des
voies et itinéraires majeurs.
Passée la barrière d’un camp militaire et les contrôles sourcilleux des
passeports, et malgré l’orgueil de nos chauffeurs, nos véhicules ne
peuvent franchir les coulées d’avalanche: il nous faut encore faire
appel à l’armée russe et ses camions qui surmontent non sans difficulté
les obstacles. Nous arrivons de nuit au camp Bezinghi ( 2150 ), base
d’alpinisme d’été mais ouverte spécialement à notre intention.
Construit dans les années 50 là où, à la fin du XIX ème, se
rejoignaient encore les glaciers de Kundim et de Bezinghi, c’est un
lieu mythique de l’alpinisme soviétique avec à proximité tous les
grands 5000 du Caucase : Dychtau, Koshtantau, Mishirgi, Puskin, Shkara,
Jangitau…
La fréquentation à skis est confidentielle: à part les traces d’Adolbe,
responsable du « rescue service » local, qui a visité les 2 vallées
principales, nous serons probablement les seuls réels skieurs de
l’année…
Il va sans dire que même si l’ampleur et la vastitude du relief limite
le nombre d’itinéraires accessibles à des skieurs « ordinaires » avec
une logistique « normale », il reste quantité de courses à explorer en
style alpin
Cirque de Mishirghi
Élégante moraine latérale chevauchée sur son fil étroit, face aux
sommets et vallées de la rive droite : Ukiu, superbe UlluauzBashi (
4670 ), et sa face glaciaire et rocheuse, aux pieds duquel nous irons
promener nos skis prochainement.
Longue courbe à droite, le cirque se découvre lentement. Mishirghi,
sonorités enchanteresses.
Instinctivement, nous prenons des distances, progressons dans la
solitude qui permet de se pénétrer du spectacle. Le temps est parfait.
Halte à la côte 3000, au pied même des parois géantes du cirque, et des
kilomètres d’arêtes, d’éperons et glaciers suspendus.
A gauche, le Kundim Mishirghi glacier, alimenté par les
parois, se courbe à angle droit, pour s’insérer dans une gorge étroite
dominée par les 5150 m du Koshtantau, dont nous ne voyons que
l’extrémité de la dernière chute de séracs: nous irons visiter ce «
petit Kumbu » le surlendemain.
Nous remontons à droite une large et raide pente de 500m, vers le pic
Brno. Le soleil chauffe, le Caucase est à la latitude de la Corse, la
neige déjà profonde devient lourde et instable. Entourés de couloirs et
de parois chargées, nous décidons de faire demi tour au pied d’un
ressaut glaciaire vers 3500.
Notre télémarkeuse, éprouvée par la chaleur, au style habituellement
élégant, exécute une figure inédite qui lui vaut, avec l’équipe aux
commandes, une descente de plus de 5 heures, allongée sur son sac à
dos, ficelée sur sa paire de skis et ses bâtons en croix, puis sur un
traîneau que Victor – qui aura fait près de 2 fois la course – est allé
cherché au camp.
Le sauna avec bain dans la rivière sera bien venu pour certains !
Kel Pass ( 3600 )
Grand glacier de Bezinghi, que l’on peut admirer depuis la « cabane WC
» du camp !! Aujourd’hui, nous ne le remontons que sur 6 à 7 km, ce qui
permet néanmoins de s’approcher du « Bezinghi Wall », immense barrière
qui ferme au sud le cirque de Bezinghi, 2000 à 2400 m de haut, 18 km de
crêtes depuis le Gestola ( 4950 ), Djanghitau (5030 ), Skhara ( 5200 ),
jusqu’au Koshtantau et au Dychtau (5200) : Philippe en pleine forme
nous remorque jusqu’au Kel Pass
Le « petit Kumbu »
Toujours par grand beau temps, nous remontons cette fois le Kundim
glacier jusqu’à son coude, et par les différentes marches de la grande
chute de séracs, nous espérons atteindre le plateau supérieur, à 3900:
même les plus intrépides s’arrêteront avant.
Peu enclin à stationner sous un empilement de séracs branlants, pour
suivre de maigres bandes de neige raide, je me mets en sécurité, et
assis sur un bloc, je contemple à loisir la muraille de Mishirghi, qui
s’étend en totalité sous mes yeux.
Chauffées par le soleil, les grandes parois commencent à parler,
avalanches, chute de glace, craquements : Alexeï me dit « c’est
l’heure, Mishirghi chante », Mishirghi chante pour moi.
Demain, 6 d’entre nous ( plus Hugues qui préfère prudemment anticiper
son retour pour faire examiner sans trop tarder par un médecin
français, la plaie résultant de l’opération effectuée dans un modeste
hôpital Caucasien ), appelés par leurs tristes obligations
professionnelles, entameront leur retour vers la France.
Demain, Bezinghi va pleurer, pleurer des larmes de pluie, de neige et
de vent, nous resterons 3 au camp Bezinghi pour quelques jours encore
Djanghi Kosh et le Bezinghi Wall
Pour la fin du séjour, nous partons 4 jours au bivouac de « Djanghi
Kosh «, situé à 3250 m GPS, au fond du glacier de Bezinghi, face au
gigantesque « Wall «, cadre exceptionnel de courses dans une ambiance
de bout du monde.
Nous sommes accompagnés par Adolbe, responsable de la cabane, et de 2
de ses adjoints, Ibrahim et Aznavour, qui vont nous aider à porter les
charges. Tous sont de forts grimpeurs, mais en skis, et malgré leur
équipement tout neuf, c’est pas pareil: Les deux adjoints chaussent
pour la première fois, Alexei les initiera au chasse neige et
conversion sur les pentes qui dominent Djanghi Kosh!!
Bruit incessant des blocs qui se détachent des moraines qui nous
surplombent de 150 m. Nous remontons prudemment dans l’axe du glacier !!
Des rapaces tournoient dans le ciel, quelques mouflons et bouquetins
nous observent de loin.
Avec des sacs lourds, nous mettrons plus de 7 heures pour arriver au
bivouac, par un temps incertain : pour éviter les risques d’avalanches
descendant du Bezinghi Wall, nous coupons la première chute de séracs
par l’intérieur, raide goulet coincé entre pentes morainiques plaquées
et séracs du glacier, que nous touchons presque de nos spatules: arrivé
à la sortie du couloir, Alexei le redescend devant moi, assis sur une
plaque qui s’est décrochée sous ses skis.
Djanghi Kosh, petit point triangulaire derrière sa moraine, qui nous
semble proche, mais que nous mettrons encore plus d’ 1h1/2 à atteindre:
difficile d’estimer les distances dans un tel environnement !
Djanghi Kosh, petit abri sommaire mais précieux, dans les tempêtes de
vent et de neige, qui s’insinuent la nuit à travers les planches
disjointes sur nos duvets.
Pic Freshfield ( 4100 ), au pied des éperons rocheux qui jaillissent
jusqu’au Dychtau ( 5200), nous renoncerons dans le couloir final, à la
neige très incertaine
Pic Sella ( 4200 ), à la source même du glacier de Bezinghi, grand
itinéraire glaciaire que nous ne connaîtrons pas. Ce matin, la neige
tombe dru, la situation devient dangereuse: de grandes avalanches
balaient la muraille devant nous, des coulées parties 2000 m au dessus,
traversent le glacier et les aérosols remontent notre versant sur
plusieurs centaines de mètres …
Nous décidons de redescendre dès le 3ème jour, dans le brouillard et la
neige. Christian fait réviser à Ibrahim une dernière fois les principes
de la conversion et du dérapage. Nous descendons en aveugles, Adolbe et
Alexei trouvent heureusement le passage obligé du couloir le long des
séracs du glacier.
Un vent de Fœhn d’une extrême violence se lève, dégage les nuages, mais
nous bouscule sur les moraines qui précèdent le camp, maintenant
inskiables, et que nous remontons à grand peine, errant à pieds à
travers les méandres des torrents et les résidus de neige sans
consistance.
C’est fini, demain, le ski laissera sa place à une journée de tourisme,
un dernier sauna, rangement des sacs, adieu Bezinghi, neige et Caucase.
Petite fête au camp, Aichat se lance dans une danse Balkar avec Alexei..
Peuple Balkar
En Kabardino Balkarie, les Balkars, minoritaires, sont Turcs par leurs
origines, leur culture, leur langue qui en est très proche, musulmans –
mais loin d’être « intégristes » , descendants des ottomans qui
régnaient sur le Caucase, avant que Tamerlan ne les chasse ou les
contraigne à se réfugier dans les montagnes peu accessibles.
En 1942, soupçonnés de complicité avec l’occupant nazi, Staline les «
déménage » en quelques jours, rase les villages, les déporte au
Kazakstan et installe à leur place les Svanétiens de Géorgie.
Les Balkars seront autorisés à rentrer dans leur pays – dévasté – à
partir de 1957 environ.
Ce petit peuple est accueillant, fier de ses racines et de son passé.
Nos nouveaux amis Adolbe et Ibrahim nous feront visiter leur vallée de
Chereck Balkaria, à l’Est de celle de Bezinghi, défendue par une gorge
impressionnante où le Fœhn soufflait encore en tempête, les ruines des
anciens villages et châteaux rasés, paysages de sommets aux formes
étranges.
Invités, accueillis dans la maison familiale par la Maman, alerte et
manifestement habituée à commander, nous déjeunerons « typique Balkar
», crêpes au fromage et pomme de terre, aisen, yaourt fermenté avec des
champignons, thé, etc
Nous saluerons respectueusement l’aïeul plus que centenaire, produit
traditionnel des hautes vallées caucasiennes, « le voisin, c’est un
petit jeune, 10 ans de moins que moi, il n’a que 102 ans, lui …. «, qui
se rappelle encore de ses aventures de la dernière guerre, où il a
combattu en Italie, France, et a participé à l’épopée de la France
Libre en Angleterre !!
Effet du soleil, du vent, du Föhn certainement !!, de l’alimentation,
de la vie rude et saine ??
Qui sait ?
Déjà, je pense à revenir l’année prochaine, il y a tellement de
possibilités dans ces montagnes magnifiques, solitaires, et qui
changent des itinéraires un peu « surbookés » de nos Alpes !
Venez donc tester vos spatules dans le Caucase, vous vivrez vos plus
belles journées de ski de montagne, et en prime, vous en reviendrez
avec un moral de centenaire !!